Anne-Marie de Hargues (née de la Peyrade)

Lettres 1923

 

Tabarca, 3 janvier 1923

Ma chère Maman,
Nous revenons de Tunis où nous avons fait un charmant petit séjour en jeunes mariés puisque vous savez déjà que nous avions laissé Renée chez un brave garde-forestier notre voisin, dont la femme s’en est admirablement occupée ; elle a été soignée comme une reine et nous l’avons retrouvée en parfait état. Car maintenant Mlle est sevrée et elle est beaucoup plus aimable depuis ce jour mémorable.
Donc nous sommes partis le mardi, lendemain de Noël pour rentrer le samedi suivant à midi. Une chose me serrait un peu le cœur au milieu de mes distractions, c’était le deuil récent du pauvre Yves mais Benjamin m’a dit que puisque l’occasion se présentait d’aller à Tunis il était bon pour moi de me distraire un peu depuis 8 mois et plus que ma fille me mettait au piquet. Et nous sommes allés 2 fois au théâtre. La première fois « Amour Tsigane » (pas trop merveilleux) et la seconde fois « Le Comte de Luxembourg ». Charmante cette opérette et désopilante au possible. Inutile de vous dire que le fameux « Lointain !... » est devenu une rengaine. Ce soir-là nous avions donné rendez-vous à Mr de Leynes, toujours charmant garçon, on avait fait avant un bon diner en musique dans le meilleur restaurant de Tunis, bu des meilleurs crus de France et l’on était très gai. Que voulez-vous c’est 1 fois par an que nous faisons un peu la bombe ! Ce même soir au théâtre nous retrouvons nos voisins, soirée fort agréable en un mot. Je connais maintenant fort bien Tunis, presque comme Nantes sauf bien entendu la ville Arabe qui est un vrai labyrinthe.
Enfin le vendredi soir je suis allée voir La Charrière, seule, Benjamin n’ayant pu venir à cause de ses courses. Je monte au 2ème étage d’une belle maison mauresque et je sonne. Une petite personne insignifiante que bien entendu je prends pour la cuisinière m’ouvre. Je demande Mr de La Charrière. On me répond que comme de coutume il est sorti et ne rentrera pas avant 6h c’était trop tard. Je dis mon regret et mon nom. Aussitôt changement de décors, la porte s’ouvre toute grande, excuse de me recevoir ainsi. Patatras ! Je vois bien que c’est la fameuse cousine ; mais comment voulez-vous que je sache, il y en avait une autre aussi mal fagotée qui repassait dans un coin de vestibule. Je vous jure qu’entre les 2 mon cœur balançait.
Enfin très dignement je me remets à la page et l’on me fait entrer dans un fort gentil salon et qu’est-ce que je vois : à la place d’honneur sur un petit secrétaire ancien une belle photographie de mon Grand-Père en grand costume de magistrat. A l’étranger le moindre incident est gros de sensations. Et pour moi, trouver dans ce salon de la blanche Tunis, sur cette lointaine Afrique, une figure si souvent regardée à la maison, l’émotion fut fort violente ; après presque 2 ans d’exil on est plus facilement impressionnable.
Arrive alors Paulette la fille aînée 14 ans, pas belle, commune mais bonne fille, bien élevée. Ensuite René, jeune garçon de 8 ans, distingué, fin avec de beaux yeux ; puis je passe dans une chambre pour faire la connaissance du dernier : Guy, délicieux bambin de 4 ans, frisé comme un petit St-Jean-Baptiste et ravissant. On se demande vraiment comment cette femme insignifiante a fait pour avoir ce bel enfant. Et voilà je suis repartie sans avoir fait la connaissance du cousin ce que je regrette.
Pendant notre séjour le temps a été idéal et partout cette verdure éclatante de fleurs, un soleil gai, juste chaud comme il faut, des teintes fondues et douces, une très légère brise. Quel étonnement pour l’un de vous subitement transporté à présent dans la blanche cité Arabe où les clochers se mêlent aux minarets des mosquées. Et dire que personne ne veut venir, nous ne sommes pourtant pas au bout du monde !...
Depuis hier le temps devient affreux, jusqu’ici depuis l’été nous vivions un éternel printemps ; mais la tempête que vous avez eue en France va déferler sur nous maintenant.
Je vous quitte ma chère Maman espérant que cette longue lettre vous intéressera tous. Je vous embrasse tendrement ainsi que tout le monde.
Votre fille respectueuse.
Anne-Marie
PS : J’espère que notre petit souvenir comestible de Tunis sera arrivé à bon port.


 

Tabarca 23 janvier 22

Ma chère Maman,

Hier je vous ai envoyé une carte mais aujourd’hui je viens vous écrire plus longuement.
En ce moment au-dehors retentissent les cris harmonieux de nos 88 cochons (sans compter les petits). Le cochon a l’air de se maintenir cette année. Dieu veuille que cela continue. En Octobre nous en avons acheté à 3f le kilo et ils sont à présent à 4f et même 4f40. Maintenant que nous avons le chemin de fer à Tabarca, c’est facile de les embarquer et surtout de les bourrer le matin et de les faire « boire » avant la pesée. Tandis que l’an dernier il fallait les mener à Souk-el-Arha (ligne d’Algérie à 70 km) vous jugez si on en semait des kilos sur la route malgré la nourriture qu’on leur envoyait d’étape en étape. Nous avons cette année très peu de vaches et nous ne vendrons pas de lait. On fera du beurre (à 16f le kilo) et le petit lait sera pour les cochons.
Nous avons un superbe champ de fèves, et maintenant on sème l’orge, avec nos 8 bœufs et une charrue récemment achetés. Si vous saviez comme ils enjouguent drôlement leurs bœufs ici. Ils tirent par le cou. [dessin]
Vous comprenez ils passent leur tête dans les tiges de fer recourbées et le bois se promène sur leur cou. Je trouve que ce système n’est pas très pratique et doit être douloureux pour les pauvres bêtes. On ne travaille jamais à moins de 6 bœufs car ils ne sont pas gros peut-être même moins que nos boeufs bretons.
Renée se dégourdit tous les jours. Elle a maintenant une mine superbe et je ui ai commencé les bouillies il y a une huitaine. Elle me siffle sa bouillie journalière avec une joie non dissimulée. La semaine dernière elle a augmenté de 340 gr en 7 jours, soit dans les 48 gr par jour ce qui met son poids samedi dernier à 7K300. Ce qui commence à compter. Elle sait rester assise sur un lit ou sur une table sans secours d’aucun coussin ; mais elle est rebelle aux dents. Elles forment 2 excroissances blanches sur la gencive mais ne sont pas sorties. D’ailleurs les petits Arabes les ont presque tous à un an, pas avant ; et le Dr me citait le cas d’un petit Russe qui n’avait mis ses premières dents qu’à 18 mois. Le pays y est pour quelque chose. Jamais elle ne crie la nuit, nous l’avons dressée pour cela dès le début. Ce sera comme ça pour tous les suivants.
Je vous embrasse de tout coeur ma chère Maman ainsi que tout le monde.
Votre fille respectueuse
Mite
PS : Il va sans dire que Benj et Renée se joignent à moi pour vous embrasser.


Le 2 février 23

Ma chère Maman,
Merci de votre carte reçue hier, je suis heureuse que mon panorama vous ait intéressés ; je n’ai pu malheureusement le terminer avant les grandes pluies mais je le finirai là-bas de mémoire.
9 février. Je vous écrirai plus longuement une autre fois mais Benj part à Tabarca vite je termine en vous envoyant des photos de René pise à 9 mois juste. Je ne suis pas bien réussie mais elle n’est pas mal.
Je vous embrasse de tout coeur ainsi que tous.
Votre fille respectueuse
Mite


Tabarca, le 2 mars 23

Ma chère Maman,
J’espère que mon colis de beurre ne vous sera pas parvenu en trop mauvais état, si vous pouviez m’envoyer un petit morceau de celui du Bois de Roz, j’en rêve !…
Depuis quelque temps les lettres de France se font d’une rareté désolante ; seule l’Action Française est là pour nous prouver qu’il y a eu courrier de France sans quoi nous l’ignorions.
Et maintenant ! Patatras ! Le malheur redouté s’est produit. Papa peut s’apprêter à être parrain aux premiers jours de Novembre ! Oui après 9 mois de répit le sevrage m’a joué ce coup pendable auquel je commençais à ne plus croire. Et alors ce voyage en France qui m’apparaissait comme un Eden, me devient presque odieux dans ces conditions. Je le ferai pourtant mais je calculerai mon coup pour être rentrée ici un mois ou 1 mois 1/2 avant ; je ne veux pour rien au monde rester en France ; l’aînée est née ici le 2d y viendra aussi né comme l’autre sous ce ciel il en supportera mieux les ardeurs. Voilà 1 mois que la tuile m’est tombée sur la tête, j’ai déjà eu quelques inévitables vomissements mais depuis quelques jours ma vigueur me revient et tout l’estomac est moins capricieux. Et circonstance amusante ma voisine Mme Guérin(dont le fils a 15 j de plus que Renée) est au même moment dans le même état que moi et nos enfants auront encore quelques jours de différence !
Bah ! Chez moi le moral n’est pas bien atteint, et puis un 2d tout le monde s’accorde pour dire que c’est moins embêtant qu’un 1er. Ce coup-là, nous sommes d’accord pour un garçon (nos voisins uen fille). On verra bien si c’est Michel ou Yvonne.
Renée se dégourdit énormément, elle fait bien, elle est rageuse comme pas une, mais dit « Papa » toute la journée quand elle voit son Père, l’Arabe ou le chien, ce sont des amitiés à n’en plus finir. Au fond tant mieux pour elle ça lui fera un compagnon et ils s’élèveront ensemble, 18 mois de différence ; je n’ai qu’à bénir le Ciel qu’il n’y ait pas moins que cela.
Au revoir ma chère Maman, je vous embrasse de tout coeur ainsi que Papa et tous. Benj et Renée vous embrassent aussi.
Mite


Tabarca, 18 mars 23,

Ma chère Maman,
Reçu ce matin 18 mars vos 2 lettres l'une du 9 et l'autre du 12. Je pense que cette fois ci vous ne serez pas sans nouvelles aussi longtemps, il me semble pourtant vous avoir écrit aussi régulièrement que de coutume. Je regrette que mon beurre ne vous soit pas arrivé en très bon état ; je l'avais mis dans des feuilles de chou tout simplement. Tant qu'au goût aromatique, il existe très légèrement au début et le temps du voyage ne l'a fait que croître et embellir.
Ne craignez rien pour le cheval, il y a 15 jours que je l'ai abandonné. Le médecin m'avait autorisée à continuer 2 mois si je voulais, mais c'est bizarre je n'en ai plus envie. Dire que j'étais devenue si bon cavalier, rivée à ma selle à califourchon bien entendu et alors subitement mes jambes étaient molles et ne savaient plus se tendre, je devenais une vraie loque et la peur me prenait. Dans ces conditions j'aime mieux porter du sucre à mon cheval dans l'écurie et attendre décembre pour recommencer mes exploits. Autrement je ne suis pas malade, les maux d'estomac se raréfient. Après tout les 7 mois qui restent passeront vite et puis je m'en fiche d'ailleurs !
Nous attendons Pâques pour faire des projets, voici ce qui est en l'air. Peut-être arriverai-je en France vers le 15 juin, j'assisterai aux vœux de ma belle sœur et Benj en août viendrait me prendre pour que je sois ici ou à Tunis vers le 12 ou 15 septembre. Ma voisine fera exactement le même coup que moi. Je tâcherai de découvrir une femme pour la ramener avec moi car avec 2 enfants, être seule c'est abdiquer toute distraction. Même dans ce moment il y a certaines heures où j'aimerais avoir une aide.
Si Tony avait des économies, il devrait bien venir me chercher à Marseille car seule avec ma fille, mes bagages et mon état, ce sera terrible. C'est très sérieusement que je vous demande cela sans quoi j'arriverai à moitié morte.
Les cochons augmentent toujours, nous sommes en passe de vendre 5f25 le kilo malheureusement les bêtes qui nous restent ne sont pas très grosses. C'est la Ruhr qui nous vaut cela. Si jamais on la quittait nous nous empresserions de faire argent comptant, ça serait plus sûr.
Vous savez que le cousin de Benj Louis de Hargues (37 ans) épouse une jeune fille de Saint Fulgent (Vendée) Mlle Odette de Grandcourt richissime héritière le mariage aura lieu le 17 mai. Mon mari voulait que j'y aille mais je ne tiens pas à partir si vite.
Je vous embrasse de tout cœur ma chère Maman ainsi que Papa et tous. Benj vous embrasse et ne veut être oublié de personne.
Mite.


Jeudi Saint 11h matin [29 mars 1923]

Ma chère Maman,
Nous revenons de l’Office du Jeudi Saint où nous avons communié, c’était un problème avec Renée qui pousse des hurlements si elle ne voit plus son père ou sa mère, mais heureusement qu’il y a eu beaucoup de communions ce qui nous a permis d’y aller à tour de rôle.
Il fait un temps idéal et les fleurs qui entourent la vieille Eglise embaument. Nous avons rapporté deux kilos de sardines fraîches (20 sous le kilo), nous dédaignons de faire gras aujourd’hui quand on découvre une pareille aubaine. Lundi prochain nous recevons les La Charrière.
Mardi de Quasimodo. [mardi 10 avril?] Excusez moi chère Maman et la tâche que je viens de faire et le long retard de ma lettre. Nous avons reçu 4 jours les La Charrière à tous les repas et malgré ma santé, j’en subis un peu la fatigue. Quant à Renée je me suis aperçue ce matin qu’elle avait percé sa première dent une d’en haut qui aurait dû venir en dernier, elle en a 3 autres à fleur de peau. Il y a certainement plusieurs jours que la dent existe mais je ne surveillais que la gencive d’en bas qui est blanche et enflée. C’est en passant du sirop Delabarre que sa dent m’a presque incisé le doigt, c’est ce qui me l’a fait découvrir. J’espère que les autres ne vont pas tarder et sortir avant les chaleurs qui sont si mauvaises pour cela.
Figurez-vous que ma voisine qui était reprise en même temps que moi vient d’avoir un accident de 2 mois (un garçon le 3ème) car elle compte déjà 2 accidents à son actif. Au fond elle a de la veine 2 mois ce n’est rien. Moi je reste au poste mais un coup de pied de ma fille au bon endroit peut faire le même travail, elle en a la spécialité.
Ce matin, 2de dent une d’en bas, elle les perce toutes à la fois. Et voilà juste le chaud qui arrive aujourd’hui, on est en moiteur.
Hier charmante promenade à la Calle, route délicieuse au milieu de pentes abruptes et d’un bois de frênes d’une fraîcheur exquise. Car comme dit Papa cette année c’est l’abondance ; aussi profitant de nos années de jeunesse nous avons vendu cheval et voiture un fort beau prix et acheté une auto « Ford » neuve, très abordable en Tunisie où la taxe de luxe est supprimée. On considère l’auto comme une chose indispensable aux colons. Nous nous en servons raisonnablement, Benj fait les marchés car pour remplacer les cochons nous avons de jeunes bêtes maigres que nous retapons pendant deux mois avec l’abondance de l’herbe et revendons grasses. Hier nous étions allés près la Calle au marché de Yusuf sur la route de Bône dont nous n’étions qu’à 70 km. Visiter la Calle son église fort grande et belle, des palmiers, une petite rade pas mal. Acheté cigares et cigarettes pour rien. Papa devrait bien avoir une Ford, il faut la voir avec ces 16 HP grimper les côtes avec une telle ardeur qu’il faut la ralentir. Et bien suspendu pas une secousse. Votre filleule n’admet que ce moyen de transport, elle est au bonheur et n’arrête pas de converser avec ses doigts tout le temps du trajet. Elle est bien facile à emmener. Juste une bouteille de lait du tapioca et de la route ; maintenant elle boit à la tasse et ne veut plus du biberon. C’est un amour d’enfant bavarde comme une pie ( bien qu’on y comprenne rien) et sachant fort bien dire non quand elle ne veut pas. Son père a une passion pour elle je vous assure que parfois elle nous fait bien rire.
Rien en fait n’est encore décidé pour mon voyage, mais je suis bien partagée par le désir de rester ici et celui de vous voir tous. Laisser mon pauvre mari deux ou trois mois tout seul, vous avouerez que ce n’est pas très drôle pour lui. En tous cas je ne quitterai certainement pas la Tunisie avant le 15 juin ou le 1er juillet pour revenir en septembre, mois pendant lequel m’a-t-on dit je peux voyager sans danger. Mon diable d’état me coupe sérieusement mon plaisir.
Je pense que la grande photo de René vous aura fait plaisir elle est vraiment pas mal réussi mais on n’a jamais pu la faire rire, c’est toujours ainsi d’ailleurs.
Nous avons encore à livrer un wagon de 35 cochons qui sont vendus à 5f25 pour le 30 de ce mois ; ils feront probablement 55 à 60 kg de moyenne. Puis il restera encore à vendre des truies et le résidu des 2 wagons. Ensuite il nous restera l’élevage, l’espoir de l’an prochain. C’est égal cette année les prix ont été magnifiques. Vous-mêmes en France avez certainement fait de bonnes affaires, c’était un peu comme pendant la guerre.
Le mariage Léhélec-Longeaux s’est rabiboché avec une rapidité vertigineuse, j’aime à supposé qu’il ne se serait pas passé de malheurs. Bon ! Ce que vous allez dire que je deviens mauvaise.
Je vous quitte ma chère Maman merci à Papa de sa lettre, je lui répondrai dans quelques jours mais cette lettre-ci était bien vieille. Je vous embrasse de tout coeur espérant que le trio fait un bon voyage.
Votre fille respectueuse,
Mitte
PS bons baisers au Poulot
Benjamin ne veut être oulié auprès de personnes. René vous embrasse.
PS n’auriez vous pas un corset pour rené les siens deviennent trop petit. De même si vous pouvez m’envoyer autre chose pour elle du trousseau cela m’irait.


Tabarca 4 mai 23

Mon cher Papa,

C’est à vous que je dois une réponse et je m’empresse de la faire ce soir car nous partons demain matin pour Tunis où différentes questions nous appellent, entre autres celle du vestiaire et aussi retenir une couchette à la Cie Gle Transatlantique. Je ne sais si je vais trouver une place tout est bondé et retenu presque depuis janvier ; si ça ne va pas je m’embarquerai peut-être à Bône, l’Algérie étant plus riche en paquebots que nous. Mais pour le 1/4 d’heure il n’est pas question de départ, l’infinie douceur de nos soirées m’attache trop au pays pour que je le quitte si vite ; on y vit maintenant des heures de rêve où les teintes du pays sont si agréablement accompagnées de brises parfumées. Calme oriental que même en août je ne trouverai pas dans ma vieille Bretagne. Donc ne comptez pas sur moi avant la mi-juin au plus tôt. Puis je rappliquerai vers mes pénates à la mi-septembre.
J’ai reçu hier une longue lettre du Bon de Hargues me remerciant de la photo de sa nièce. Il a suivi une chasse à courre dans la forêt de Gâvre dont il est enthousiamé ; Marie de Maupeou et une Marion de Procé y étaient (surtout la dernière) d’intrépides amazones.
Excusez mon écriture je suis assise dehors, il fait si bon ; mais voici le dîner, je vous quitte j’ai encore bien des petites choses à préparer pour demain. Voilà le soleil tombé derrière la montagne, c’est l’heure délicieuse entre toutes.
Dîtes à Maman que ma santé est tout à fait d’aplomb, je ne me complais pas cette année dans les vom… (je crois que j’en ai eu 4) et maintenant les plus mauvais mois sont passés.
Je vous embrasse de tout coeur ainsi que Maman et tous. Benj ne veut être oublié auprès de personne et Renée vous embrasse.
Votre fille respectueuse.
Anne-Marie.


[Lettre de Tante Mag]

Le 4 mai 1923,

Chère Elisabeth,
Je t’écris à la cuisine tandis que mes pommes de terre et mon poisson cuisent... Car aujourd’hui c’est le service réduit pour changer. Servanne nous a quittées hier seulement, car nous avons eu une crise aiguë… Toutes nos vieilles nous ont lâché successivement… Émilie a le pied dans un état lamentable (j’ai été la voir) cela fait pitié elle aurait si bien pu nous servir jusqu’à notre départ… Matie vient d’être appelée à Paris par sa sœur très malade… Je ne sais pourquoi je ne me trouble jamais à l’excès de ces crises domestiques, et le bon Dieu finit toujours par me venir en aide dans ces détails car nous voilà jusqu’à ce que nous partions en possession d’une vieille encore, mais propre, silencieuse, ne prenant que 3 francs par jour, nourrie et assumant tout le service de 10h à 7 heures. Aujourd’hui seulement elle n’a pu venir.
Je t’avoue que je trouve ces tracas domestiques non des souffrances mais...de petits ennuis à côté du reste…
Je ne t’ai pas écrit depuis l’arrivée des enfants que nous sommes contentés de savoir à bon port…
c’était si bon de les avoir que j’aurai voulu que cela dure toujours…
Servanne m’a illusionnée après leur départ car elle tient une grande place et l’on a toujours le cœur serré en la voyant partir… Jeanne ne me la cédée si longtemps que vu la crise dans laquelle je me débattais. J’attends de savoir les projets de Mite pour bâtir les nôtres… depuis 2 jours il fait une chaleur atroce de juillet… mais je pense que cela ne durera pas, c’est fatiguant pour Maman. Du 10 au 15 nous avons une retraite à la Visitation que Maman a sollicité de suivre … et d’ici là j’ai beaucoup à faire dans la maison et toujours en vue de la fête du [SC] qu’il faut lancer même si nous ne sommes pas ici. Je vais tâcher de m’activer que Maman et le ménage quand je n’ai personne !
Je te serai infiniment reconnaissante de me dire ce que fait Mite dès que tu le sauras… Marie insiste beaucoup pour que Maman aille au chalet, moi j’aimerai mieux que nous partions directement d’ici car ces deux déplacements me semblent compliqués.
Je ne sais si Jeanne voudra me donner une de ses filles si Mite ne vient pas...En ce cas si je m’embarque seule avec Maman Tony pourrait peut-être venir me chercher à Vertou où nous serions à deux heures cinquante cinq car je suis d’avis si possible d’arriver dès le soir même au Bois-de-Roz (je crois qu’il y a un train à 15h59 qui arrive vers 7h du soir à Malansac).
Pour en revenir à Mite je veux espérer que ses projets ne sont pas enterrés car poour toi ce serait un gros sacrifice de ne pas voir la petite Renée mais je comprends que ce soit un peu dangereux de voyager seule dans son état avec ce gros poupon à porter !
Je comprends que l’auto la séduise et lui fasse envisager la possibilité d’un dur été à avaller (tout beau tout nouveau)… Enfin attendons les évènements en souhaitant...ce qu’il y a de mieux pour le physique et le moral.
Je n’ai que le temps de t’écrire cela (terminé aujourd’hui) et de t’envoyer toutes nos tendresses,
Tante Mag
PS : je renverrai demain lundi le vêtement de [lote] et… le reste je l’ai gardé bien longtemps ! Je n’arrive à rien !!


Tabarca, 16 mai 1923 [ Benjamin]

Ma Mère,
excusez-moi, je vous prie, d’avoir un peu tardé à répondre à votre lettre dont je vous remercie vivement.
Je passe de suite au sujet qui vous intéresse : le voyage de Mitte.
J’avais d’abord songé à la laisser partir seule, vers le 15 juin : cela m’eut permis de finir mes récoltes et surtout vous eut évité l’encombrement de ma présence dans une maison déjà très surchargée pendant les vacances.
D’autre part, il y avait l’ennui de laisser Mitte voyager seule, dans la cohue des départs d’été.
Votre lettre est arrivée à point pour me décider, puisque vous m’en priez si aimablement, à essayer de partir avec Mitte.
J’étudie donc en ce moment le projet : premièrement, de vendre rapidement toutes les bêtes qui me restent à liquider, et je suis en bonne voie pour cela. Deuxièmement de trouver un stagiaire au pair pour me remplacer aux récoltes, qui ne sont pas abondantes d’ailleurs. J’ai peur qu’il me soit difficile d’avoir quelqu’un avant les examens de fin d’année de l’école d’agriculture c’est-à-dire vers le 1er juillet. Mais c’est à voir et je m’en occupe activement.
Au cas où tout s’arrangerait nous partirions en famille et nous vous aviserions de la date d’arrivée.
Je vous donne les meilleures nouvelles de Mitte et de Renée, nous avons été tout dernièrement à Tunis (avec la Ford) où nous avons pris pension chez les Lacharrière, qui sont de gentils cousins.
Nous les avons reçus pendant 4 jours avec leurs enfants aux vacances de Pâques.
Je vous envoie si inclus quelques petites photos que j’ai prises pendant leur séjour ici qui n’a pas manqué de gaîté avec leurs gosses qui sont de vrais diables.
Je vous quitte, ma Mère, en vous priant de partager avec mon père et tout votre entourage, l’expression de ma très sincère affection.
Votre fils respectueux Benjamin


Tabarka, 26 mai 23
Ma chère Maman,
Vous savez que je commence sérieusement à compter les jours et mon mari aussi. Sa lettre vous aura fixé sur nos derniers projets qui me réjouissent autrement que les premiers. 2000 km à parcourir seule me « fichaient » une sérieuse frousse. Tandis qu’en famille ce ne sera rien. La Transatlantique est bondée mais l’autre Cie, la Touache (des sales bateaux) a encore des couchettes.
Nous ignorons la date du départ pour le moment mais soyez tranquilles quelques semaines et tout est dit. Avec la Transat et ses nouveaux horaires il n’y aurait eu qu’une nuit en mer, mais avec le « Mansourah » il faudra se résigner à deux. Qu’importe pourvu que nous passions la mer.
Pour le moment grande fraîcheur on espère la pluie si utile à nos récoltes mais nous sommes empoisonnés par les mouches et vivons dans l’obscurité complète. Ce qu’il y a de plus fort c’est qu’au moment de notre départ tout aura disparu, au fort de l’été, il n’y en aura pas une.
Nous liquidons notre troupeau de façon à laisser le moins possible pour l’été de prise à la mortalité qui svit terrible en nos climats. Nous avons mis aussi des annonces pour un stagiaire et recevons des réponses qui valent celles de « Lechêne de Lorme » et nous donnent de fameux fou rires.
Quant à ma santé elle se rétablit de jours en jours. Plus aucun maux d’estomac, appétit féroce souplesse rien n’a encore disparu et bien que 4 mois soient passés rien ne me trahit encore. Quand j’ai été à Tunis j’ai mené ma fille à ma garde,elle a été ravie de la voir et nous l’avons retenue pour mon retour. Elle m’a d’ailleurs dit que je pouvais parfaitement voyager au 8eme mois (mieux qu’au 7eme). Elle ne voulait pas croire que j’étais dans cet état ; pas même les yeux cernés disait-elle. C’est une différence de 100 % avec l’an dernier. Le médecin d’ailleurs ne me recommande pas le repos, la vie ordinaire sauf le violent exercice de cheval. Il déclare à qui veut l’entendre que je suis faite pour avoir beaucoup d’enfants. Diable ! c’est pas très rigolo. Vous voyez en tout cas que monter à califourchon n’empêche nullement la repopulation. D’ailleurs, j’escompte bien en décembre recommencer pour quelques 10 mois encore mes chevauchées qui me privent tant.
Je vous quitte ma chère Mam an en vous disant à bientôt.
Si encore ça pouvait être un garçon le filleule de Papa. Enfin Michel ou Yvonne on verra bien.
J’embrasse tout le monde votre fille respectueuse Anne-Marie.
PS j’espère que B Maman et les cousins vont tous se trouver là-bas cette année.


[A priori c’est à Tunis au cours du départ pour la France en juin, qu’aurait eu lieu l’accident mortel de Renée qui serait tombée]


Nantes, 27 août [1923]
mes chers Papa et Maman,
Nous avons fait hier très bon voyage. Le train n’était pas trop bondé malgré le Dimanche. Nous sommes arrivés ici au milieu du dîner où nous avons trouvé Augustin et Amédée. Il a plus presque toute la nuit et ce matin les ondées continuent. Nous pensons à vous et à la réunion chez les Forest.
Mon beau-père est fort aimable, Lucie fait ses bagages et ce soir nous prenons la route de Lyon.
Ce matin nous avons vu Anne-Marie pendant 2 heures, elle était ravie de voir que le consentement était enfin donné. Nous lui avons fait toutes les commissions du Bois-de-Roz. Pauvre Bois-de-Roz ! Il me semble que tant que je suis ici la séparation n’est pas grande mais demain combien de km aurais-je mis entre lui et moi.
J’ai oublié de vous dire que j’ai laissé la plaque de photos dans une boite de carton qui se teouve dans tiroir de droite de l’armoire de notre chambre.
Je vous embrasse de tout cœur ainsi que tous en vous remerciant encore de ce séjour réparateur qui nous a fait tant de bien.
Benj ne veut être oublié auprès de personne. Votre fille respectueuse
Anne-Marie


[Sur deux cartes postales représentant ND de Fourvière à Lyon]
28 août 1923

Ma chère Maman,
Nous voici à Lyon depuis ce matin midi. Partis de Nantes à 10 h la veille, voyez comme le trajet est long. Nous avons pu dormir un peu malgré l’encombrement. Le paysage est fort joli d’ailleurs. Nous venons de monter à Fourvière que nous avons visité et où nous avons mis un cierge aux intentions de tous. Ensuite nous sommes montés par l’ascenseur en haut de la tour métallique où nous avons eu un admirable panorama de la ville. Le temps très clair laissait parfaitement bien voir le Mont Blanc et la chaîne des Alpes. Visite aussi à la cathédrale St Jean et à son horloge astronomique. Nous repartirons demain à 4h du soir et serons à Marseille à 9h ce qui nous fera 2 nuits avant d’embarquer.
Nous vous embrassons de tout cœur ainsi que tous.
Votre fille respectueuse
Anne-Marie Benjamin


Tabarca, 8 septembre [1923]
Ma chère Maman,
Je reçois à l’instant votre lettre où vous me dites que Bonne-Maman vient d’être malade, heureusement que vous me donnez en même temps des nouvelles de sa convalescence ; mais comment faites-vous pour empêcher le bruit ? … Le surlendemain de notre arrivée la pluie s’est mise à tomber accompagnée de vent, on se serrait cru en plein hiver. Mais aujourd’hui le ciel est redevenu bleu et la chaleur est très supportable. Au mois de juillet, il a fait parait-il jours consécutifs de sirocco ; c’est effroyable. Beaucoup de grappes de raisins ont été complètement brûlées.
Le Dr est venu avant-hier et m’a trouvée en bonne santé, je ne crois pas que le voyage m’ait fait de mal, d’ailleurs nous l’avons sérieusement coupé. Lui aussi croit bien que la chute a fait tout le mal ; il m’a dit qu’étant tombée sur des médecins inconnus il ne pouvait connaître le tempérament de l’enfant.
Notre gérant est en France à son tour. Tout a assez bien marché pendant notre absence ; il n’a même pas beaucoup dépensé ce qui est fort agréable à constater.
Dites à Servanne que je vais lui répondre un de ces jours et que je la remercie beaucoup de son jus. Nous avons constaté que Mr de Leyne était bon lui aussi pour les jus ; je ne sais pas qui aurait le prix de lui ou de Servanne.
Je vous quitte ma chère Maman en vous remerciant encore de notre bon séjour au Bois-de-Roz (comme le bon cidre nous manque) et en vous embrassant affectueusement ainsi que tous. Lucie ne veut être oubliée auprès de personne.
Votre fille respectueuse

Dimanche
Ma Mère,
Je n’ai rien à ajouter à la lettre de Mite sinon pour vous remercier encore des gâteries de toutes sortes dont vous nous avez comblés pendant les vacances.
Tout s’annonce bien pour Mite, la visite du docteur étant des plus rassurantes. Nous aurons presque sûrement notre garde.
La température est très agréable pour le moment. Les affaires s’annoncent difficiles, tout étant hors de prix.
Vous pouvez compter sur moi pour vous tenir au courant de tout ce qui vous intéresse ici, en temps et lieu.
En attendant, je vous charge, avec mes condoléances pour Tante Mag, de toute sorte d’affection pour tout notre entourage,
Votre fils respectueux
Benjamin


Tabarca 6 octobre [1923]

Ma chère Maman,

Merci de votre carte lettre reçue ce matin ; je vois que l’état de Bonne-Maman est toujours le même sans aucune amélioration, comme c’est triste tout de même de la voir si fatiguée. Je ne savais pas que les cousins étaient toujours à la maison et j’ai écrit à Servanne à Angoulême ce qui va retarder de beaucoup ma lettre.
L’infirmière est arrivée hier ce qui n’a pas peu contribué à me rendre malade d’appréhension ; sensation fort désagréable qui m’avait été épargnée la première fois. Heureusement le temps fraîchit beaucoup, le soleil a perdu depuis quelques jours sa clarté aveuglante de l’été, il a été déjà lavé par les premières pluies.
Ce matin en attendant un autre genre de sport, la garde nous apprend à faire du couscous comme ça l’an prochain je pourrais vous faire goûter le plat traditionnel arabe.
Je pense que Magali a dû terminer son tricot qui était si admirablement commencé. Elle n’aura qu’à me l’envoyer car il servira dans les premiers.
Enfin Benjamin a obtenu un parcours de forêt de 1100 ha, il cherche des cochons à acheter pour augmenter son lot. J’ai maintenant 2 larbins du même âge, mon n°1 (celui que je voulais vous amener) et un jeune apprenti fort dégourdi que l’autre met à la page au cas où il me craque dans la main. Ils ont tous plus ou moins la passion du travail de la maison.
Nous avons eu Mr de Leynes pendant 3 jours, ravi d’être libéré, et toujours aussi gai et remuant.
Je vous quitte, ma chère Maman en vous chargeant de bien embrasser Bonne-Maman de notre part et de ne nous oublier auprès de personne.
Votre fille respectueuse.
Anne-Marie


[Lettre de Lucie]
[Tabarca 1923] 20 octobre

Chère Madame,

La naissance de la petite Yvonne a été une grande joie pour moi. Elle est tout à fait mignonne et ne semble pas vouloir être difficile. On ne l’entend guère dans la journée. La nuit, elle réclame quelquefois sa têtée surtout lorsque la dernière ne l’a pas satisfaite. La garde avait craint un moment que Mite ne puisse pas continuer à nourrir mais cette décroissance de lait n’a été que passagère. Avec un peu de suralimentation, la Maman s’est remise à donner la ration suffisante.
La nouvelle de la mort de la pauvre Grand Mère l’a certainement beaucoup attristée mais elle l’a cependant supportée avec beaucoup de courage. Après l’avoir préparée le mieux possible à cet événement Benjamin le lui a dit samedi dernier. Les demoiselles de Brête nous avaient remis la triste dépêche le dimanche qui en a suivi la réception ainsi qu’une lettre de vous donnant peu d’espoir à Benjamin. Le courrier a été scrupuleusement examiné ensuite avant d’être remis à Mite et les demoiselles de Brête ont continué de servir d’intermédiaires. Mais cette situation ne pouvait durer indéfiniment car elle aurait privé Mite trop longtemps de vos messages. Le jour du baptême, une des demoiselles de Brête est venue lui tenir compagnie et lui a dit que vous lui aviez envoyé de mauvaises nouvelles de Mme de la Bénardière. Nous avons insisté pour qu’elle ne conserve pas d’espoir et le soir, Benjamin lui a dit la vérité.
La garde est donc venue à l’église avec nous. La petite a un peu crié au début mais le sel et l’eau ne lui ont fait aucun effet, pas plus que les onctions qui cependant ont été faites généreusement. Le curé de Tabarka semble très bien et paraît aimé. C’est l’aîné des enfants de chœur qui a fait l’office de parrain, un certain Sanchez qui paraissait enchanté de ses fonctions : la signature surtout a été le comble de sa joie. La petite a reçu les noms de Yvonne Marie Lucie Henriette.
Le temps était superbe ; du reste il continue à l’être ce qui permet de faire un petit tour à la petite chaque jour. La garde est très attentionnée et s’occupe dans la maison aux heures de relâchement. Elle lave, repasse et aide à la cuisine. Mite est aussi bien servie que possible. La main d’oeuvre est facile ici du reste et le petit Arabe est de bonne volonté.
Vous devez passer des jours bien pénibles à Bordeaux en ce moment. Je pense à vous et à tous ceux qui vous entourent et vous envoie mon affectueuse sympathie.
Lucie
PS : vous voudrez bien excuser cette moitié de feuille que j’ai coupée pour éviter le pods dans mon enveloppe.

[Rajout d’Anne-Marie]
20 octobre
J’ajoute un mot, ma chère Maman, bien que je vous ai écrit avant-hier. Je vais toujours bien, je me suis levée 1 heure aujourd’hui sur la chaise longue et j’étais très solide sur mes jambes ; j’étais navrée de me recoucher. Demain j’irai déjeuner à table te resterai 3 heures debout et si tout continue à aller bien j’irai à la messe pour la Toussaint. Je suis bien contente que cette affaire-là soit finie jusqu’à la prochaine fois ; l’appréhension est une sale chose. Nous sommes toujours ravis de la garde qui travaille comme 4. Je vous embrasse tendrement ainsi que Papa et tous.

Mite


Tabarca 26 oct [1923]

Mes chers Papa et Maman,

Je veux vous remercier tous deux de vos missives qui m’ont fait bien plaisir et que vous m’écriviez en de bien tristes jours. Vous devez être maintenant tout près de rentrer au Bois de Roz vu les examens de Tony. Et Tante Mag, que va-t-elle devenir ? J’y pense bien souvent. Et tous ces objets de valeur, ces meubles, ces tableaux ; j’ai une peur terrible qu’il en soit vendu ; ce que ça nous ferait de la peine je vous assure.
Ici nous avons encore une chaleur sénégalienne ; l’été redouble ses fureurs ; peut-être à la Toussaint le temps va-t-il changer. Malgré cela je mange courageusement mais c’est dur parfois. Yvonne est toujours une grosse fille qui rendrait des points à son oncle Tony au point de vue nourriture. Elle a le bas de la figure de sa sœur (nez et bouche) mais le haut est très différent ; ce n’est plus le haut front bombé et les beaux yeux noirs, celle-ci aura les yeux clairs, le front peu élevé (le mien) et les cheveux chatains clair, voilà votre petite fille. Pour le moment elle augmente de 40 gr par jour car elle n’a pas encore rattrapé son poids de naissance.
Je ferai bien d’être une bonne nourrice car on parle de la fièvre aphteuse dans la région et alors adieu le lait de vache.
Voilà déjà quelques jours que je n’ai pas eu de vos nouvelles mais je suppose sans peine que le temps doit vos manquer.
Figurez-vous qu’à peine les La Charrière ont appris la naissance de notre fille, qu’ils lui ont envoyé une chaîne d’or et une médaille de la Ste Vierge délicatement travaillée avec gravé au dos : Yvonne – 10 oct 24. C’est une magnifique cadeau dont nous sommes bien touchés.
Quant à Lucie, l’infirmière lui apprend à faire de la dentelle arabe, elles sont toute la journée là-dessus et se passionnent.
Je vous embrasse de tout coeur mes chers parents sans oublier tout votre entourage.
Votre fille respectueuse.
Anne-Marie

Souvenir de Lucie et Benj
PS : je suis complètement retapée et reprend ma vie ordinaire. Ci-joint les pellicules de photo que nous venons de retrouver.

[Feuillet indépendant]
27 oct

J’ajoute vite un mot au sujet des boîtes de Baptême. Ayant bien des politesses à rendre il nous en faudrait 10, mais dans ce sale pays on ne peut en avoir à moins de 15 f pièce, et les faire venir de France c’est trop long. Cela peut-être dépasse la somme que vous vouliez mettre mais vous n’aurez qu’à rattraper cela sur Yvonne en ne lui donnant rien de l’année.
Comme le Baptême est déjà loin nous nous permettons de les commander à Tunis, nous vous enverrons la somme ensuite. C’est ce que mon beau-père nous avait donné pour Renée.
Je vous embrasse bien en m’excusant de notre liberté.
Mite


Tabarca, 30 oct [1923]

Ma chère Maman,

Vous êtes maintenant sûrement au Bois de Roz car le départ de Tony est bien proche.
Comme la pauvre Tante Mag doit se trouver seule au 106, peut-être Servanne ira-t-elle lui faire visite pour la distraire un peu. Si je vais en France l’an prochain je ne manquerai pas d’aller la voir si elle a de la place pour me recevoir.
Ici tout va aussi bien que possible, la garde est partie ce matin et moi je suis complètement remise et fort vigoureuse. Benjamin déclare qu’avoir des enfants augmente mes forces, alors vous comprenez, vu cela nous aurons une nombreuse descendance, ce dont je ne me plains nullement. Quant à Yvonne c’est donc une énorme fille qui porte plus d’un mois avec ses petites culottes, les objets du 1er âge sont déjà mis de côté et la petite barboteuse de Servanne joint tous juste. Elle faisait le bonheur de la garde et elle disait qu’il y avait longtemps qu’elle n’avait vu une fille aussi forte et avec l’ossature aussi bien formée. Le glycérophosphate a fait merveille.
Il n’y a qu’une chose qui m’ennuie c’est que je me suis fait pincer par les fièvres paludéennes. De 3 jours en 3 jours j’ai un léger accès accompagné de douleurs au foie ; 6 jours après la naissance j’avais 38 de fièvre ce qui m’a flanqué une frousse carabinée. Il n’y a qu’un remède, se fortifier pendant l’hiver pour empêcher au printemps le retour de cette fièvre tierce. Pour le moment je dévore ; le matin c’est un vrai repas à la Tony, à midi c’est formidable, à 4h bol de chocolat au lait avec du pain autant que possible et le soir soupe « ad hoc » et œufs. Aussi comme tout tourne en lait Yvonne a augmenté la semaine dernière de 200 gr soit 28 gr 1/2 par jour ; l’infirmière est partie, ravie de ce succès. Il faut par exemple à la petite des repas beaucoup plus forts qu’à une autre, songez qu’en 10 mn sans qu’on s’aperçoive elle prend jusqu’à 120 gr. Elle ne tardera pas, à ce train, à me mettre sur le flanc. Enfin quand j’ai vu au lendemain de la montée que le lait était ainsi tombé, j’ai promis à Ste Anne de faire dire une messe à son autel privilégié, messe à laquelle j’assisterai ; si je peux nourrir ma fille.
Je vous quitte ma chère Maman en vous embrassant de tout cœur ainsi que Papa et tous.
Benj et Lucie ne veulent pas être oubliés.
Votre fille respectueuse
Anne-Marie

PS : Je vais aller à la messe pour la Toussaint.


Tabarca 8 nov [1923]

Ma chère Maman,
Je pense que vous avez dû recevoir les adresses que vous m’avez demandées. Vous voilà maintenant revenus au Bois de Roz qui doit vous paraître bien triste et bien vide. Vous savez que Lucie s’embarque le 13 pour la France. Son père l’assassinait de réclamations et tout en regrettant beaucoup, nous la laissons partir pour lui éviter des ennuis. D’ailleurs à présent il n’y a plus les mêmes raisons qu’à notre arrivée et j’ai été bien contente de l’avoir pendant 2 bons mois. Benjamin va aller l’accompagner en auto à Tunis puis elle ira s’embarquer à Bizerte.
Et quelques jours après vers le 20 nov Augustin vient habiter avec nous durant cette année. Il vient faire du « cochon » avec son frère. Vous voyez que nous avons un mouvement de va et vient avec la France ; je ne désespère pas de voir venir Tony, ça me ferait tant de plaisir. Quand vous passerez par Nantes, vous pourrez demander bien des détails à Lucie sur votre petite fille, car tous les soirs elle lui faisait faire sa promenade ; jusqu’à hier l’été ne voulait pas finir, mais cette nuit il est tombé une pluie diluvienne, qui permet de commencer sérieusement les travaux d’ensemencement.
Yvonne est donc une grosse fille très vorace, il lui faut déjà une ration plus forte qu’à un enfant de son âge ; la nuit, le dressage est un peu dur, mais comme on ne lui cède pas, j’espère qu’elle va finir par comprendre le mouvement, il y a déjà beaucoup de progrès depuis 2 nuits. Quant à moi, je meurs de faim du matin au soir et mange en conséquence en prenant aussi du glycéro, qui me fait beaucoup de bien. La petite a déjà une ossature extraordinaire, tant mieux si ses dents pouvaient commencer de bonne heure, il n’y aurait qu’un été dangereux pour elle ; le suivant elle ne craindrait plus rien sa dentition étant finie. Pendant que Benjamin sera à Tunis je vais avoir une femme de Tabarca afin que je ne reste pas toute seule.
Voilà Tony bien près de partir au régiment, quand il saura où il va il fera bien de me donner son adresse.
Je vous quitte ma chère Maman en vous embrassant bien affectueusement ainsi que Papa et tous.
Votre fille respectueuse
Anne-Marie
Souvenir de Lucie et Benjamin.


Tabarca, le 18 nov [1923]

Ma chère Maman,

Je vous remercie beaucoup de votre dernière lettre que j’ai reçue pendant le séjour de Benjamin à Tunis avec Lucie. Avant d’embarquer sa sœur pour la France il a tenu à lui montrer Carthage et différentes choses à Tunis sans oublier une visite à une tombe bien chère, sur laquelle ils ont porté des fleurs, il y en a tant en ce moment dans tout le pays. Lucie avait l’air ravi de son séjour au pays du Soleil et était désolée de rentrer dans une Bretagne maussade et triste comme elle est à cette époque.
Nous avons reçu une lettre que Tony nous écrivait de Rennes, le voilà encore collé, ce n’est d’ailleurs pas bien étonnant au milieu de tous ces tristes événements. Il est maintenant un vrai Poilu, ça m’amuserait de la voir en uniforme.
Vous savez peut-être que Lucie s’est arrêtée à Bordeaux et que cette bonne tante est venue la chercher à la gare ; c’est de là qu’elle nous a télégraphiés qu’elle avait fait bon voyage ; mais je ne sais pas tout de même si elle n’aura pas eu un peu de mer, celle-ci était bien agitée tous ces temps-ci.
C’est tout à fait une mauvaise époque pour effectuer une traversée, Augustin pourrait bien avoir mauvais temps ; il doit arriver à la fin de cette semaine. Je suis bien contente de cela car ce sera un peu de vie dans la maison et l’été prochain, il n’y aura pas besoin de gérant, l’un des 2 hommes restera.
Yvonne continue à pousser très régulièrement (27 ou 28 gr par jour), heureusement qu’une pareille augmentation ne durera que jusqu’au 10 janvier sans quoi, comme dit Tony, elle arriverait à jauger plusieurs quintaux !… Elle commence déjà à se dégourdir, pour 40 jours elle est vraiment amusante : elle pèse 4 K715, je vais la peser ce matin. J’ai reçu de très gentilles lettres d’Aliette et de Mimie de Léhélec qui ont des contemporains d’Yvonne, celle d’Aliette a juste 20 jours de plus qu’elle.
Je fais de la dentelle arabe ou « Chebka » ; j’ai commencé en entre-deux que je compte offrir à Magali pour son jour de l’an afin qu’elle se fasse un devant de combinaison car c’est fort joli ainsi employé.
Je vous quitte, ma chère Maman, j’espère que vous aurez reçu à temps notre télégramme qui vous porte nos vœux de fête.
Je vous embrasse de tout cœur ainsi que tous.
Votre fille respectueuse.
Anne-Marie

PS : Dans le liste des adresses, j’ai oublié les de Bretttes.


Tabarca, 24 nov 23

Ma chère Maman,

Voilà déjà quelques jours que je n’ai eu des nouvelles de la maison, et ça me paraît bien long. Augustin est arrivé ce matin au train de midi, enchanté de son voyage bien que son bateau le « Gouverneur-Général Grévy » l’ai fait tanguer et rouler dans tous les sens, la mer étant déchaînée ; enfin il n’a pas été bien malade ; heureusement que Lucie a eu une traversée plus convenable, car elle appréhendait fort la mer.
Nous avons toujours un temps idéal, chaud même ; j’ai mal de tête pour être sortie au soleil sans chapeau ; mais ce temps est désespérant car il ne met pas d’eau dans les puits et le nôtre est presque à sec, on a juste de quoi boire. Il faut que le bourriquot fasse tous les jours plusieurs voyages pour aller à 500 m au moins puiser de l’eau à une source de la plaine. Si ce n’est pas renversant d’en être réduit là à la fin de novembre.
La petite Yvonne pousse toujours bien, mais elle est dure à dresser la nuit, nous sommes inexorables pour les heures et héroïquement laisson rager. Cette nuit par extraordinaire elle n’a pas bougé de 10h du soir à 6h du matin, aussi nous n’en revenions pas d’avoir attrapé une si bonne nuit. Elle fait maintenant près de 5 kilos et a 1 mois 1/2. Le temps passe tout de même, encore 6 ou 7 fois autant et elle commencera à être intéressante.
Je vais dans quelques jours remonter à cheval, cet exercice me fera beaucoup de bien suivant le conseil médical pour me réassouplir ; cette raideur qui me reste toujours ne disparaîtra qu’avec les longues courses équestres. Je monterai de temps à autre avec mon beau-frère et la Père gardera sa fille aimablement. Ce sera d’ailleurs le seul moyen pour moi d’aller à la Messe étant donné que je ne sais aps conduire l’auto.
Lucie vous donnera des détails sur notre vie quand vous la verrez puisqu’elle a vécu 2 mois dans notre cadre. Demandez-lui de vous montrer son coucher de soleil sur La Fresnaie et le coin de la salle à manger avec la petite chienne-fox dans la cheminée. Ces 2 aquarelles vous donneront bien une bonne idée du pays.
Je pense que ma chère sœur Magali doit bien trouver à redire en l’absence de ce brave Tony. Cet excellent frère ferait bien de venir nous voir à une perm. Comme soldat ce ne sera pas cher son voyage et Papa ne lui a-t-il pas dit devant moi de voyager pendant son temps. Pour un jeune homme, ce voyage est fort intéressant et son beau-frère se ferait un plaisir de le piloter à Tunis et ailleurs.
Je vous quitte ma chère Maman en vous embrassant ainsi que Papa et les autres.
Votre fille respectueuse.
Anne-Marie

PS : Figurez-vous que j’engraisse… Benj. vous embrasse et Aug. ne veut être oublié auprès de personne.


Tabarca, 9 décembre 23

Ma chère Maman,
Je pense que mes soeurs auront été satisfaites de mes lettres, dîtes à Poulot que je la remercie beaucoup de sa longue lettre qui nous a bien intéressés. Cette pauvre Bellone c’est désolant, Papa doit être navré de ce qui lui est arrivée.
Ici, Yvonne vient d’avoir un léger a-coup, bien de ma faute d’ailleurs. Je suis tombée dans l’excès contraire en la suralimentant trop le soir. Résultat, ça a lui a fatigué l’estomac, elle a perdu du poids, en fin ça ne marchait plus et j’étais fort ennuyée. Pour comble, mon lait assez abondant pendant 5 semaines est tombé d’un bon tiers, pour la bonne raison que tout ou presque tout ce que je mange tourne à « l’engrais ». Ce n’est pas un mal dans un sens mais ça ne colle pas dans l’autre. Aussi, sur le conseil du médecin j’ai commencé à m’aider d’un biberon et tout a l’air de vouloir rentrer dans l’ordre. Je serai probablement obligée de m’aider prochainement d’un autre et je crois alors que ça pourra marcher. Ce serait dommage de laisser dépérir une belle enfant.
Mais décidément je ne suis pas à classer dans les bonnes nourrices ; est-ce le pays ? Ou bien on dit que celles qui n’ont pas été nourries elles-mêmes sont moins aptes que d’autres à remplir cette fonction. Qu’y a-t-il de vrai là-dedans, je n’en sais rien.
Augustin devient un vrai colon. Il s’est acheté un joli cheval algérien venant de la remonte. (Il ressemble beaucoup à Bellone).
Nous avons eu trois jours de mauvais temps, pluie, vent, orage ; mais aujourd’hui c’est le printemps, une superbe journée s’annonce et les ensemencements pourront se faire.
J’ai reçu l’autre jour une longue lettre de Mimi, nous sommes toujours au mieux, elle me dit que son fils pèse à 4 ou 5 mois plus de 15 livres c’est joli, la mienne à 2 mois n’en fait pas tout à fait 10, avec sa déperdition. Mme de Léhélec, Mme de Lantivy, Aliette m’écrivent aussi.
Je vous quitte ma chère Maman en vous embrassant bien tendrement ainsi que Papa, Bernard et mes sœurs. J’ai écrit une longue lettre à Tony et lui ai envoyé 2 paquets de cigarettes algériennes, je ne sais si elles lui parviendront.
Encore 1000 baisers.
Votre fille respectueuse
Anne-Marie
PS : Benjamin vous fait dire en vous embrassant de bien vouloir envoyer à son Père avant la fin de l’année les 150 f des boîtes de Baptême car il lui doit un intérêt que cela commencera à amortir pour la date et nous évitera les frais d’envoi.
Souvenir d’Augustin

II [Deuxième feuillet a priori issu de la même lettre]
(Prenez le premier panorama que je vous ai envoyé et tout à fait à gauche à mi-montagne, j’avais dessiné tant bien que mal notre nouvelle demeure)
J’oubliais de vous dire la nouvelle du jour ; c’est que nous venons de prendre de moitié avec Augustin une nouvelle propriété sise sur la montagne en face et à la même distance que nous de Tabarca (5 km environ). Pour ici nous allons tâcher de résilier le bail, sinon nous ne serons pas en peine avec nos récoltes de payer la location. La nouvelle propriété a pour nom – Domaine du Dâr-El-Mollenel – Il y a 110 ha dont beaucoup d’excellentes terres de la plaine. Quant à la maison d’habitation, elle est superbe, construite en style mauresque en terrasse, c’est un vrai manoir arabe qui ferait honneur à la France. Elle se compose en bas de 6 pièces : cuisine, vestibule, bureau, salon - salle à manger, immense avec portes à doubles battants vitrées de petits carreaux biseautés, une chambre à coucher avec son grand cabinet de toilette, un couloir, (w.cl) puis l’escalier du 1er et celui de la cave. Au 1er nouveau corridor dans lequel se trouve une belle garde-robe, grande chambre avec terrasse devant la porte-fenêtre d’où la vue s’étend merveilleuse sur la mer. Cabinet salle de bain, puis 2 ou 3 autres petites pièces formant lingerie et grenier ; puis l’escalier menant à la grande terrasse supérieure formant toit. L’eau vient dans la cuisine, le bureau près des cabinets, dans le cabinet de toilette et au 1er dans la salle de bain ; les robinets sont magnifiques.
Devant la port d’entrée du vestibule à l’extérieur une sorte de loggia couverte retenue par des piliers ; puis quelques pas plus loin la grille d’entrée. Près de la maison de beaux arbres avec un grand terre-plein dominant la mer et la plaine.
Puis de splendides écuries pour 50 ou 80 bêtes à cornes, et pour ne nombreux porcs, belles écuries à chevaux ; poulailler parfaitement installé ; le tout formant la cour intérieure de la maison qui la nuit est une vraie forteresse. Tout cela étincelant de blancheur comme toute construction arabe qui se respecte. Je regrette que vous ne puissiez venir, c’eût été une joie pour nous de vous recevoir dans cette aristocratique demeure. Il faudrait la meubler complètement à l’orientale ; elle le demande : lit-divan, sofa, tapis de Kairouan, petits meubles arabes en marquetterie, objets en cuivre travaillés et coussins de cuir filigranés (comme ceux de Mimi de Léhélec).
Nous irons nous installer là-bas vers Avril ou Mai, avant mon départ pour la France.
Je pense que cela vous intéressera, quel dommage que Magali ne puisse pas venir m’aider à déménager ; nous la ferions monter à cheval tant qu’elle voudrait. Elle devrait venir avec sa marraine que cela distrairait puis nous repartirions en choeur pour la France !… Pourquoi pas après tout.
Je vous embrasse bien encore.


Tabarca 15 décembre 23

Mes chers Parents,

Je vous souhaite une bonne et heureuse année, une bonne santé, accompagnée de plusieurs « et le paradis à la fin de nos jours », pour ne pas oublier la « chère » formule que je n’ai pas entendue depuis 3 ans. Pierre Hamon la débite-t-il toujours aussi élégamment. Donc tous mes vœux les meilleurs pour tout le Bois de Roz. Je souhaite que dans quelques mois nous nous retrouvions tous dans la chère Bretagne.
Tony ets devenu très écrivassier depuis qu’il est au régiment, ce qui est bien agréable ; il n’a pas l’air malheureux de sa nouvelle vie. Je lui ai envoyé des cigarettes d’Algérie mais pour ne pas les faire partir de Tabarca je les ai confiées à notre contrebandier pour qu’il les fasse partir d’Algérie, mais d’après ce que Tony m’écrit il ne les a pas reçues : la douane a dû les confisquer.
Dès que l’occasion se présentera nous tâcherons de vous acheter un poney ou ne ponette à l’œil vif qui fera la joie de Magali ou de Poulot. Peut-être pourrons-nous en trouver dans les 400 à 500 frs mais il faudra attendre la vente de nos porcs qui nous mettra en rapport avec les transitaires. Nous calculions qu’un joli poney vous reviendrait dans les 13 à 1400 f. Vous auriez presque plus d’avantage à en faire venir 2.
Nous sommes écoeurés de l’acquittement de cette odieuse G. Berton, c’est l’apologie du crime et l’encouragement au meurtre. Quelle honte pour le pays un acte de ce genre. Les mauvais journaux exultent mais la Presse en général et, je l’espère, tous les bons Français doivent être outrés. Vraiment nous ne nous attendions pas à cela.
Nos terres s’ensemencent avec ardeur, hier il y avait 12 charrues qui travaillaient dans nos nouveaux terrains ; on sème des féverolles, du blé, de l’avoine. Pour le 15 janvier il y aura près de 40 ha de terminés.
J’ai recommencé mes promenades à cheval depuis avant-hier et cela me fait beaucoup de bien. Benj et moi avons été ensemble à la messe de Minuit laissant Yvonne à la garde de son Oncle. Tout s’est d’ailleurs fort bien passé.
Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien tendrement ainsi que Bernard et mes sœurs.
Votre fille respectueuse.
Anne-Marie

[NDR : Germaine Berton, jeune anarchiste soutenue par les surréalistes, avait assassiné un an auparavant Maurice Plateau, proche de l’Action Française.]

Tabarca 26 décembre
Ma Mère,
Tous mes vœux, ainsi qu’à mon Père, et à tout votre entourage pour l’année 1924. Puisse cette année vous apporter beaucoup de joies, de consolations et puisse-t-elle surtout ne pas être attristée par de nouveaux deuils ! C’est à cette époque qui réunit si souvent les familles, que l’on sent plus particulièrement les vides, surtout ceux qui sont si profonds et si récents !
1923 se termine très mal pour la France par cet abominable acquittement de la Berton ! Que de vœux à formuler pour notre pauvre pays vendu à des pourris et à des traîtres ! Quelle honte pour la magistrature !
La Tunisie est en effervescence par la disparition du « Dixmude », on attend des nouvelles avec impatience.
Ici rien de nouveau, nous travaillons ferme quand le temps le permet.
Je vous quitte, ma Mère, en vous priant de partager en famille ma très sincère affection.
Votre fils respectueux
Benjamin

 

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